L'aspirine, un remède miracle ?
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L'aspirine, un remède miracle ?
L'aspirine pourrait avoir un effet préventif contre de très nombreuses maladies : cancer, infarctus, accidents de la grossesse… Peut-on pour autant considérer ce médicament comme un remède miracle ? La réponse est plus nuancée.
Nous savons depuis longtemps déjà que l'aspirine peut servir à autre chose qu'à soulager les grippes ou les maux de tête. Mais les experts recommandent-ils aujourd'hui un recours préventif à ce médicament ?
Aspirine : Protéger les victimes d'infarctus
AspirineDepuis une vingtaine d'années, plusieurs études se sont succédées, indiquant les vertus préventives de ce médicament face aux maladies cardiovasculaires. L'aspirine inhibe, en effet, l'agrégation des plaquettes, donc la formation de caillots sanguins à l'intérieur des vaisseaux. Une dose aussi faible que 80 mg par jour pendant une semaine (alors que les comprimés pour adulte varient habituellement entre 300 mg et 1 g) suffit à réduire de 90 % la libération de substances agrégantes par les plaquettes et à allonger le temps de saignement. A cette action antiagrégante s'ajoute un effet anti-inflammatoire bénéfique pour la paroi vasculaire.
Des essais thérapeutiques ont montré que la prise régulière de faibles doses d'aspirine réduit (de 25 % environ) le risque de récidive chez les personnes ayant eu un premier infarctus. L'efficacité est encore supérieure si on associe à l'aspirine d'autres médicaments. Un effet préventif similaire a été observé sur les récidives d'accident vasculaire cérébral (AVC). Ainsi, les spécialistes proposent systématiquement un traitement par aspirine à faible dose aux personnes ayant eu un infarctus ou un AVC, et qui n'ont pas de contre-indications à ce médicament (allergie, ulcère et risque hémorragique).
L’aspirine est bénéfique pour les artères en cas de prédisposition
Qu'en est-il des personnes n'ayant jamais eu de problèmes vasculaires ? Les données sont dans ce cas beaucoup moins convaincantes. Certaines études ne montrent pas de diminution du risque d'infarctus et d'autres indiquent une augmentation des AVC. En réalité, le traitement semble n'avoir d'effets favorables que lorsqu'il existe au moins un facteur prédisposant aux accidents cardiovasculaires. Se basant sur cinq études, les résultats d'une analyse de grande ampleur1 révèlent une diminution de 28 % des accidents cardiaques et de 15 % de la mortalité liée à ces accidents chez les personnes traités par aspirine. Mais cette action bénéfique ne concerne que les personnes les plus exposées aux maladies cardiovasculaires. Chez celles n'ayant aucun facteur de risque, le bénéfice lié à la réduction des accidents cardiaques est annulé par une augmentation des AVC et des hémorragies digestives. Ainsi, le traitement par l'aspirine est généralement réservé aux personnes ayant un facteur prédisposant aux accidents cardiovasculaires, tels qu'une fibrillation auriculaire, une angine de poitrine, un diabète, une hyperlipidémie ou une hypertension artérielle (à condition, toutefois, que celle-ci soit correctement traitée). Selon une étude présentée aux 17e rencontres scientifiques annuelles de la Société américaine d'hypertension, il est préférable de prendre l'aspirine le soir, car cela entraîne une légère diminution de la pression artérielle.
Parfois utile pendant la grossesse
Par ses effets sur les vaisseaux, l'aspirine diminue également le risque de complications chez les femmes enceintes ayant une hypertension gravidique (hypertension survenant pendant la grossesse). Prise à faible dose (100 mg/j), elle réduit ainsi la fréquence de l'éclampsie, de l'hématome rétroplacentaire et le risque de mort foetale.
D'autres études indiquent que l'aspirine, administrée dès la 15e semaine de la grossesse aux femmes ayant des antécédents de retard de croissance in utero, permet d'augmenter le poids de naissance du nouveau-né. Enfin, l'aspirine peut prévenir les fausses couches tardives chez les femmes ayant des antécédents d'avortements à répétition. Enfin, les études réalisées au cours de fécondations in vitro montre qu'elle peut favoriser l'implantation de l'embryon et réduire le risque d'avortements précoces. Il pourrait ainsi être utile de l'administrer très tôt pendant la grossesse, voire avant la conception chez les femmes ayant des antécédents de fausse-couches précoces à répétition des maladies auto-immunes augmentant les risques d'avortement.
En revanche, les spécialistes ne recommandent pas de traiter les femmes sans antécédents particuliers, ni celles ayant une grossesse multiple ou une hypertension artérielle permanente.
Surtout, ils soulignent qu'il est important de respecter les contre-indications et d'arrêter le traitement à 35 semaines de grossesse. En fin de grossesse, l'aspirine augmente les risques de complications hémorragiques et d'une anomalie vasculaire particulière chez le foetus : la fermeture prématurée du canal artériel. Si vous êtes enceinte ne décidez jamais de votre propre chef de prendre un médicament. Parlez-en impérativement avec votre médecin.
Prévenir le cancer
Concernant la prévention des tumeurs cancéreuses, les études sur l'aspirine étaient jusqu'à présent assez contradictoires. Un vaste essai mené sur 20 000 médecins américains, la Physicians Health Study, n'a montré aucun effet positif de l'aspirine sur le risque de cancer du côlon ou du rectum chez ces hommes sans facteurs de risque particuliers2.
Il pourrait en être autrement pour les personnes ayant des antécédents de cancer du côlon ou de polypes, lésions précancéreuses de l'intestin. Incluant quelques centaines de patients, deux études3,4 plaident en faveur d'une action préventive. Dans la première et après 13 mois, 17 % seulement des patients traités par aspirine après ablation d'un cancer du colon ou du rectum ont eu à nouveau des polypes contre 27 % des malades non-traités.
Moins significative, la seconde étude concerne des personnes opérées pour des polypes. Après 33 mois, le risque de développement de nouveaux polypes ou d'un cancer était de 38 % dans le groupe traité par 81 mg d'aspirine par jour, de 45 % dans celui traité par 325 mg et de 47 % dans celui sous placebo.
Le dépistage et l'ablation systématiques des cancers et des lésions précancéreuses restent cependant la base de la prise en charge des personnes à haut risque de cancer du côlon et du rectum. Le traitement par l'aspirine n'est certainement pas en mesure de changer cette règle.
D'autres études suggèrent que l'aspirine pourrait prévenir d'autres cancers : oesophage, ovaire, pancréas, poumon, bouche, larynx et pharynx… Entre autres exemples, l'analyse de neuf études menées dans la population générale indique que la prise d'aspirine, quelle qu'en soit la raison, est associée à une réduction de 50 % du risque de cancer de l'oesophage5. Ces résultats incitent à mener des essais thérapeutiques chez des personnes à risque pour confirmer son action préventive.
Pas de traitement systématique
Ce médicament centenaire pourrait-il bénéficier à chacun d'entre nous ? Il serait tentant de le conclure, d'autant que certaines études6 indiquent qu'il pourrait également prévenir la maladie d'Alzheimer. Mais d'autres sont plus réservées7.
Ainsi, l'ensemble des données actuelles conduit à ne pas préconiser le traitement systématique. En effet, les essais menés sur la population générale ne montrent généralement pas d'effets favorables sur les maladies cardiovasculaires, lorsque les personnes n'ont pas de facteur de risque particulier.
En ce qui concerne le cancer, les résultats sont le plus souvent basés sur des témoignages rétrospectifs, ce qui ne permet pas d'affirmer avec certitude que les effets observés sont bien liés à l'aspirine. Enfin et surtout, ce médicament a des effets indésirables bien connus. Il augmente le risque d'accidents hémorragiques, notamment d'hémorragies cérébrales et digestives, même aux faibles doses utilisées en prévention.
Pour une personne en bonne santé et sans antécédent, ces risques hémorragiques dépassent les bénéfices escomptés du traitement. L'intérêt de la prise d'aspirine doit être décidé au cas par cas, en fonction des risques de chacun. Les réserves apportées récemment au traitement substitutif de la ménopause montrent à quel point il convient d'être prudent avant de recommander un traitement préventif systématique.
Dr Chantal Guéniot
1 - Ann Intern Med. 2002;136:161-172
2 - Ann Intern Med. 1998 May 1;128(9):713-20
3 - N Engl J Med. 2003 Mar 6;348(10):883-90
4 - N Engl J Med. 2003 Mar 6;348(10): 891-9
5 - Gastroenterology, 2003 Jan;124(1):47-56
6 - Neurology, 2002 Sep 24;59(6):880-6
7 - Am J Geriatr Psychiatry. 2003 Mar-Apr;11(2):179-85
Nous savons depuis longtemps déjà que l'aspirine peut servir à autre chose qu'à soulager les grippes ou les maux de tête. Mais les experts recommandent-ils aujourd'hui un recours préventif à ce médicament ?
Aspirine : Protéger les victimes d'infarctus
AspirineDepuis une vingtaine d'années, plusieurs études se sont succédées, indiquant les vertus préventives de ce médicament face aux maladies cardiovasculaires. L'aspirine inhibe, en effet, l'agrégation des plaquettes, donc la formation de caillots sanguins à l'intérieur des vaisseaux. Une dose aussi faible que 80 mg par jour pendant une semaine (alors que les comprimés pour adulte varient habituellement entre 300 mg et 1 g) suffit à réduire de 90 % la libération de substances agrégantes par les plaquettes et à allonger le temps de saignement. A cette action antiagrégante s'ajoute un effet anti-inflammatoire bénéfique pour la paroi vasculaire.
Des essais thérapeutiques ont montré que la prise régulière de faibles doses d'aspirine réduit (de 25 % environ) le risque de récidive chez les personnes ayant eu un premier infarctus. L'efficacité est encore supérieure si on associe à l'aspirine d'autres médicaments. Un effet préventif similaire a été observé sur les récidives d'accident vasculaire cérébral (AVC). Ainsi, les spécialistes proposent systématiquement un traitement par aspirine à faible dose aux personnes ayant eu un infarctus ou un AVC, et qui n'ont pas de contre-indications à ce médicament (allergie, ulcère et risque hémorragique).
L’aspirine est bénéfique pour les artères en cas de prédisposition
Qu'en est-il des personnes n'ayant jamais eu de problèmes vasculaires ? Les données sont dans ce cas beaucoup moins convaincantes. Certaines études ne montrent pas de diminution du risque d'infarctus et d'autres indiquent une augmentation des AVC. En réalité, le traitement semble n'avoir d'effets favorables que lorsqu'il existe au moins un facteur prédisposant aux accidents cardiovasculaires. Se basant sur cinq études, les résultats d'une analyse de grande ampleur1 révèlent une diminution de 28 % des accidents cardiaques et de 15 % de la mortalité liée à ces accidents chez les personnes traités par aspirine. Mais cette action bénéfique ne concerne que les personnes les plus exposées aux maladies cardiovasculaires. Chez celles n'ayant aucun facteur de risque, le bénéfice lié à la réduction des accidents cardiaques est annulé par une augmentation des AVC et des hémorragies digestives. Ainsi, le traitement par l'aspirine est généralement réservé aux personnes ayant un facteur prédisposant aux accidents cardiovasculaires, tels qu'une fibrillation auriculaire, une angine de poitrine, un diabète, une hyperlipidémie ou une hypertension artérielle (à condition, toutefois, que celle-ci soit correctement traitée). Selon une étude présentée aux 17e rencontres scientifiques annuelles de la Société américaine d'hypertension, il est préférable de prendre l'aspirine le soir, car cela entraîne une légère diminution de la pression artérielle.
Parfois utile pendant la grossesse
Par ses effets sur les vaisseaux, l'aspirine diminue également le risque de complications chez les femmes enceintes ayant une hypertension gravidique (hypertension survenant pendant la grossesse). Prise à faible dose (100 mg/j), elle réduit ainsi la fréquence de l'éclampsie, de l'hématome rétroplacentaire et le risque de mort foetale.
D'autres études indiquent que l'aspirine, administrée dès la 15e semaine de la grossesse aux femmes ayant des antécédents de retard de croissance in utero, permet d'augmenter le poids de naissance du nouveau-né. Enfin, l'aspirine peut prévenir les fausses couches tardives chez les femmes ayant des antécédents d'avortements à répétition. Enfin, les études réalisées au cours de fécondations in vitro montre qu'elle peut favoriser l'implantation de l'embryon et réduire le risque d'avortements précoces. Il pourrait ainsi être utile de l'administrer très tôt pendant la grossesse, voire avant la conception chez les femmes ayant des antécédents de fausse-couches précoces à répétition des maladies auto-immunes augmentant les risques d'avortement.
En revanche, les spécialistes ne recommandent pas de traiter les femmes sans antécédents particuliers, ni celles ayant une grossesse multiple ou une hypertension artérielle permanente.
Surtout, ils soulignent qu'il est important de respecter les contre-indications et d'arrêter le traitement à 35 semaines de grossesse. En fin de grossesse, l'aspirine augmente les risques de complications hémorragiques et d'une anomalie vasculaire particulière chez le foetus : la fermeture prématurée du canal artériel. Si vous êtes enceinte ne décidez jamais de votre propre chef de prendre un médicament. Parlez-en impérativement avec votre médecin.
Prévenir le cancer
Concernant la prévention des tumeurs cancéreuses, les études sur l'aspirine étaient jusqu'à présent assez contradictoires. Un vaste essai mené sur 20 000 médecins américains, la Physicians Health Study, n'a montré aucun effet positif de l'aspirine sur le risque de cancer du côlon ou du rectum chez ces hommes sans facteurs de risque particuliers2.
Il pourrait en être autrement pour les personnes ayant des antécédents de cancer du côlon ou de polypes, lésions précancéreuses de l'intestin. Incluant quelques centaines de patients, deux études3,4 plaident en faveur d'une action préventive. Dans la première et après 13 mois, 17 % seulement des patients traités par aspirine après ablation d'un cancer du colon ou du rectum ont eu à nouveau des polypes contre 27 % des malades non-traités.
Moins significative, la seconde étude concerne des personnes opérées pour des polypes. Après 33 mois, le risque de développement de nouveaux polypes ou d'un cancer était de 38 % dans le groupe traité par 81 mg d'aspirine par jour, de 45 % dans celui traité par 325 mg et de 47 % dans celui sous placebo.
Le dépistage et l'ablation systématiques des cancers et des lésions précancéreuses restent cependant la base de la prise en charge des personnes à haut risque de cancer du côlon et du rectum. Le traitement par l'aspirine n'est certainement pas en mesure de changer cette règle.
D'autres études suggèrent que l'aspirine pourrait prévenir d'autres cancers : oesophage, ovaire, pancréas, poumon, bouche, larynx et pharynx… Entre autres exemples, l'analyse de neuf études menées dans la population générale indique que la prise d'aspirine, quelle qu'en soit la raison, est associée à une réduction de 50 % du risque de cancer de l'oesophage5. Ces résultats incitent à mener des essais thérapeutiques chez des personnes à risque pour confirmer son action préventive.
Pas de traitement systématique
Ce médicament centenaire pourrait-il bénéficier à chacun d'entre nous ? Il serait tentant de le conclure, d'autant que certaines études6 indiquent qu'il pourrait également prévenir la maladie d'Alzheimer. Mais d'autres sont plus réservées7.
Ainsi, l'ensemble des données actuelles conduit à ne pas préconiser le traitement systématique. En effet, les essais menés sur la population générale ne montrent généralement pas d'effets favorables sur les maladies cardiovasculaires, lorsque les personnes n'ont pas de facteur de risque particulier.
En ce qui concerne le cancer, les résultats sont le plus souvent basés sur des témoignages rétrospectifs, ce qui ne permet pas d'affirmer avec certitude que les effets observés sont bien liés à l'aspirine. Enfin et surtout, ce médicament a des effets indésirables bien connus. Il augmente le risque d'accidents hémorragiques, notamment d'hémorragies cérébrales et digestives, même aux faibles doses utilisées en prévention.
Pour une personne en bonne santé et sans antécédent, ces risques hémorragiques dépassent les bénéfices escomptés du traitement. L'intérêt de la prise d'aspirine doit être décidé au cas par cas, en fonction des risques de chacun. Les réserves apportées récemment au traitement substitutif de la ménopause montrent à quel point il convient d'être prudent avant de recommander un traitement préventif systématique.
Dr Chantal Guéniot
1 - Ann Intern Med. 2002;136:161-172
2 - Ann Intern Med. 1998 May 1;128(9):713-20
3 - N Engl J Med. 2003 Mar 6;348(10):883-90
4 - N Engl J Med. 2003 Mar 6;348(10): 891-9
5 - Gastroenterology, 2003 Jan;124(1):47-56
6 - Neurology, 2002 Sep 24;59(6):880-6
7 - Am J Geriatr Psychiatry. 2003 Mar-Apr;11(2):179-85
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